LAGRIMAS DE COCODRILO

Le parlement catalan s'est prononcé à 68 voix pour, 55 contre et 9 abstentions sur l'interdiction des corridas en Catalogne.
Parmi les diverses réaction que j'ai pu lire, voici celle d'Antonio Lorca.

Larmes de crocodile

L'interdiction, tristement, est devenue réalité.
Le bras exécutif fut la politique, qui refuse la fête des toros car elle respire trop l'identité espagnole, mais le terrain est en friche depuis qu'en 1965 Pedro Balaña Espinos mourut, lui qui fut l'un des plus grand impresario taurin de l'histoire. Don Pedro est mort, et personne n'a suivi sa voie, et tandis que l'aficion se languit, la politique occupe le terrain, elle a miné, doucement mais sûrement, tous les fondements taurins de Catalogne jusqu'à atteindre son objectif final. Le monde des toros reste nu face à ses misères aigües.
La politique est entrée en trombes par la porte des cuadrillas, et la liberté est sortie tête basse, maculée et blessée par celle de l'abattoir. Maigre compensation en comparaison d'El Torin, Las Arenas et la Monumental, les trois arènes qui firent de Barcelone le centre du monde taurin, et tant d'autres plazas réparties dans toute la Catalogne.
La politique veut abattre le sentiment, l'art, l'émotion et la grandeur de la tauromachie.
Et le pire de tout est qu'elle le fait sans nécessité. C'est vrai que les aficionados catalans sont rares, mais pourquoi interdire le droit d'une minorité de jouir d'un spectacle qui, en plus, manque tant de pulsion vitale pour continuer? Pour protéger les animaux?
Les députés abolitionnistes savent que ce n'est pas vrai. Le toro, dans ce cas n'est rien d'autre qu'une excuse.

Gravissime, certes, la décision adoptée par le Parlement Catalan, mais moins grave que celle qui correspond au monde des toros, qui pour la première fois de son histoire reste complètement désarmé face à ses misères aigües. Parce que le problème le plus grave est que beaucoup d'aficionados désertent chaque année les gradins, fatigués de supporter avec stoïcisme un spectacle cher, décrépi, ennuyeux et manipulé.
C'est un fait qu'on a dénaturalisé le toro, et maintenant ce n'est plus cet animal puissant et hautain d'un autre temps, mais un malade invalide qui nous fait pitié. La fraude s'est faite avec une arbitraire impunité. Je ne parle pas là de l'afeitado, mais la suspicion généralisée existe comme quoi aucun toro ne sortirait les cornes intactes. Parler de substances qui modifient le comportement des animaux -drogues, en fin de compte- est maudit. Les protagonistes de la fête ont perdu le respect.

Et les toreros ne sont pas des héros, mais des infirmiers qui se rêvent en danseuses. Bien sûr ils se jouent la vie, mais ils ne donnent pas d'émotion.
Les éleveurs sont au service des dénommées « vedettes », ils ne demandent pas dans leurs propriétés qu'on les dépouille librement de la dignité distincte que leur confère leur condition de généticiens autodidactes.
Avec tout ça, toreros, éleveurs, impresarios, apoderados, etc... ont changé la fiesta en farce, en escroquerie...
Quelqu'un a écouté les vedettes actuelles, les éleveurs bling-bling, les impresarios d'arènes de première catégorie ou bien les apoderados célèbres parler de la modernisation du spectacle ou de la régénération du toro sauvage?
C'est vraiment un curieux mélange que ces taurins actuels. On dirait des gens ancrés dans une autre époque, sans une once de modernité, pas solidaires, rusés, méfiants et intéressés.
Y compris les gamins qui commencent et attrapent le virus et paraissent déjà retraités.
Le taurin comme personnage générique, ce qui le préoccupe, en vérité, c'est l'argent qu'il peut gagner rapidement, et pas le présent et le futur de la tauromachie.

Tout ceci explique que les taurins aient perdu la partie en Catalogne. Devant le changement de société et la pression continuelle des nationalistes, les taurins se sont retirés dans leurs quartiers d'hiver, et donnent pour perdue une communauté qui avait donné le mot de passe pour la fête des toros.
La nouvelle situation exige des propositions imaginatives et de nouvelles méthodes, et c'est beaucoup demander à un collectif si figé. Mais s'ils ne font rien, les taurins laisseront le champs libre aux abolitionnistes.
Il serait injuste d'oublier un autre versant qui n'en ai pas moins important: les corridas de toros n'ont jamais pris racine en Catalogne, pas plus que la tauromachie ne s'est convertie en élément fédérateur.
Avec la même intensité les arènes se remplissaient au temps glorieux de Pedro Balaña, tout comme elles se sont vidées à sa mort. De toute façon, maintenant pleurer et grincer des dents, les lamentations, les accusations diverses et variées jusqu'aux insultes aux ennemis de la fiesta ne changera rien.
Mieux vaudrait un examen de conscience devant la débâcle catalane. En plus, il y a longtemps, quelques années déjà, que la Catalogne n'intéresse plus les taurins; y compris l'actuel maître de l'arène de la Monumental, -le neveu du fameux Don Pedro- qui a tenté de la fermer en 2007, et qui maintenant garde un silence suspect, tant il espère une savoureuse indemnisation qui pourrait lui tomber du ciel.

De tout ceci, ceux qui se lamentent aujourd'hui, combien ont aidé les aficionados catalans, qui s'est joué la peau dans une tentative solidaire, qui a osé faire face aux politiques? Tout ceux- la, les taurins, savent que la Catalogne est seulement le début. Avant que n'arrivent les vétos nationalistes, les aficionados avaient abandonné les arènes.
L'image qu'offrait dimanche dernier la Plaza Monumental, avec à peine plus qu'un quart de remplissage, était l'exact reflet du maigre écho de la corrida dans la société catalane. Normalement il devrait y avoir quelques soubresauts, mais le plus dur et le plus dangereux reste, sans doute, l'abandon constant d'un spectacle qui a perdu tout son intérêt d'autrefois. Voilà le vrai problème, et pas une vaine lamentation. Sera-t'il possible que la tauromachie arrête de se regarder le nombril et affronte le présent et le futur avec la rigueur nécessaire? La présence du toro sauvage sera t'elle une utopie? Quelqu'un mettra t'il un terme à l'hémorragie dont souffre la fiesta?

Sinon il ne reste qu'à pleurer comme un enfant ce qu'on n'a pas su défendre comme un homme. Maintenant, il ne reste plus qu'à verser des larmes de crocodile... Larmes qui semblent feintes.

Antonio Lorca.

Traduction libre d'isa du moun, version originale ici.